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mardi 1 mars 2011

Dominique de Villepin: "Je veux proposer une refondation française" - Interview (Le Monde, 26/02/2011)

Fini le temps, pas si lointain, où Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy s’affrontaient dans les prétoires par avocats interposés, où l’un était promis au« croc de boucher » et l’autre considéré comme « un problème pour la France ». Les deux hommes se sont rencontrés pendant une heure et demie, jeudi 24février à l’Elysée, à l’initiative du chef de l’Etat. L’entrevue s’inscrivait dans le cadre de la préparation du G20, mais ils ont aussi brossé un vaste panorama de la situation politique intérieure et internationale, Dominique de Villepin a invité Nicolas Sarkozy à se ranger clairement du côté des révolutions dans le monde arabe et à ne pas en avoir peur.
Plaidant pour une diplomatie « audacieuse », l’ancien premier ministre estime, concernant la place et le rôle de la ministre des affaires étrangères Michèle Alliot-Marie, qu’« il appartient au président de la République et au chef du gouvernement de tirer les leçons de ce qui s’est passé »« Quand il y a un malaise dans un ministère, on le règle », déclare-t-il.
Face à la gravité des difficultés que traverse la France et aux peurs qu’elles suscitent, l’ancien premier ministre met en garde contre la tentation d’une« réponse identitaire » et le risque de « rouvrir un certain nombre de plaies et d’attiser les divisions ». Il juge à cet égard dangereux le débat lancé sur l’islam.
Le président de République solidaire, qui réaffirme son « indépendance », rendra public début avril son projet politique. Il en dévoile les grandes lignes dans Le Monde, en défendant l’idée d’une « refondation républicaine ».
Michèle Alliot-Marie est-elle selon vous disqualifiée pour porter la parole de la France ?
Il appartient au président de la République et au chef du gouvernement de tirer les leçons de ce qui s’est passé et d’apprécier si, dans ces fonctions, tel ou telle est le mieux placé. Quand on lit les tribunes de diplomates qui se multiplient, on comprend qu’il y a un malaise et, quand il y a un malaise dans un ministère, on le règle. Savoir se remettre en question, c’est la première des capacités d’un politique. Ce que je sais, c’est que, si nous ratons le train de l’Histoire, cela aura des conséquences très graves pour la place et la vocation de la France.
La diplomatie française vis-à-vis du monde arabe a-t-elle été défaillante ?
Je ne fais pas le procès de la diplomatie française. Toutes les diplomaties du monde peuvent encourir le reproche de ne pas avoir vu venir ces événements. Mais dès lors qu’ils ont eu lieu, notre histoire, notre amitié, notre message nous imposent d’être les premiers à en mesurer la portée et à les soutenir. Ne nous laissons pas dicter nos réactions par la peur. En diplomatie, les paroles sont des actes.
Il y a une occasion unique de changer notre regard sur le monde arabe. Etre du côté de l’Histoire, c’est saluer ce qui s’y passe. C’est une révolution qui se fait au nom de la dignité, au nom de la liberté et de la justice sociale, pas au nom de l’islamisme. Il faut savoir prendre le risque de la liberté, dire clairement de quel côté nous nous situons et nous doter des outils qui vont rendre pérennes ces révolutions démocratiques.
Concrètement, que proposez-vous ?
Je pense que nous avons besoin d’un conseil européen extraordinaire pour mobiliser tous les chefs d’Etat et de gouvernement afin d’accompagner cet espoir qui se lève dans le monde arabe. Et il faut dire aux dirigeants arabes qui seraient tentés de tirer contre leur peuple, comme aujourd’hui en Libye, que nous ne l’accepterons pas, qu’ils encourront des représailles fortes et ciblées, qu’ils auront à en répondre devant la Cour pénale internationale. L’éventail des moyens est large: gel des avoirs personnels, sanctions économiques, interdiction des déplacements des dirigeants et mise en œuvre de la résolution des Nations unies sur la responsabilité de protéger les populations.
Partagez-vous les conclusions de la tribune signée par les diplomates du groupe Marly ?
J’ai dit avant eux les inquiétudes qui étaient les miennes devant les risques d’un alignement de la diplomatie française. Le principe d’indépendance est un principe cardinal. C’est pour cela que j’avais mis en garde, à l’époque, contre le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Il y a des dynamiques inexorables. Dès lors que la France a tendance à s’aligner sur le plan militaire ou des grands enjeux de sécurité sur la diplomatie américaine, elle perd en exigence et en capacité d’initiative.
Je l’ai dit au président de la République, devant le tremblement du monde, la réponse, c’est l’audace. Il y a de multiples solutions à mettre sur la table: une politique d’équilibre avec l’Allemagne, de croissance autant que de stabilité, une politique énergétique européenne, un principe de réciprocité dans nos relations économiques avec les Etats-Unis, la Chine, les émergents, des stocks alimentaires stratégiques dans les régions défavorisées, des grands projets de recherche internationaux en matière médicale, spatiale, environnementale.
Nicolas Sarkozy doit-il changer d’attitude vis-à-vis de la Turquie ?
La Turquie est un atout pour l’Europe. Et il ne faut pas fermer la porte. Elle peut contribuer à la stabilisation de l’ensemble du pourtour méditerranéen. Après une succession de signaux négatifs, il faut maintenant inverser la tendance.
Que retenez-vous de votre rencontre de jeudi avec Nicolas Sarkozy ?
D’abord, un dialogue direct et franc, après plus de deux ans de silence. Il souhaitait vous convaincre de reprendre votre place dans la majorité? Je ne sais pas ce qu’il avait à l’esprit. Ce qui importait, pour moi, c’était de faire des propositions pour notre pays. Pour ma part, j’ai tourné la page, je n’ai aucun ressentiment, je ne suis pas dans un esprit d’opposition personnelle ou partisane.
Quel regard portez-vous sur l’état de la France ?
Inquiet. Mon souci était d’alerter le président de la République sur la gravité des difficultés auxquelles nous faisons face, sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur. Compte tenu des peurs qu’elles suscitent, il faut être extrêmement attentif à ne pas rouvrir un certain nombre de plaies et à ne pas attiser les divisions. C’est pour cela, je le lui ai dit, que je redoute ce nouveau débat lancé sur l’islam.
Avec une candidate du Front national créditée de quelque 20 % d’intentions de vote, la majorité n’est-elle pas en demeure de resserrer les rangs ?
La vraie question, c’est de savoir pourquoi les Français se tournent vers les extrêmes. Ils sont de plus en plus inquiets. Pour beaucoup d’entre eux, ils ne voient pas d’autre issue qu’un choix désespéré en faveur du Front national. Soit on s’engage dans une réponse identitaire, qui divise et qui réduit. C’est une voie sans issue, parce que l’on flatte les mauvais penchants. C’est le risque du mépris, avec le débat, par exemple, sur l’islam. Soit on fait le choix d’une refondation républicaine. En matière politique, la peur est une mauvaise source d’inspiration. Il faut d’abord être fidèle à nos principes.
Quelles sont les principales propositions de votre futur projet politique ?
Je veux proposer une refondation française. Il y a une formidable aspiration des Français à la dignité. C’est pour cela que je proposerai, dans le projet que je présenterai début avril, un revenu citoyen, fixé autour de 850 euros, pour tous les Français ayant des revenus inférieurs au revenu médian, c’est-à-dire 1500 euros, qui serait garanti et versé de façon dégressive jusqu’à ce niveau de revenus. Dans un pays riche comme la France, chaque citoyen doit disposer d’un socle de dignité inaliénable. C’est un choix de solidarité. C’est aussi un élément pour le dynamisme économique et social de notre pays. Le financement serait assuré par le redéploiement des aides sociales et une hausse ciblée des impôts.
Nous avons un vrai problème de répartition des richesses. La fiscalité a un double objectifd’orientation de notre économie et de juste redistribution. Aujourd’hui, cet objectif est très mal rempli. Notre fiscalité doit être simplifiée et rendue plus progressive, avec un seul impôt sur le revenu, et un impôt sur le patrimoine, avec le rétablissement d’un impôt fort sur les successions, parce que c’est un choix de société.
Faut-il réhabiliter l’Etat ?
Il faut répondre au malaise de l’Etat. Je propose de créer une dizaine de grands ministères stratégiques; d’aller jusqu’au bout de la décentralisation avec huit grandes régions métropolitaines dont les présidents seraient élus au suffrage universel. Le président de la République pourrait réunir un conseil territorial, avec les présidents de région, pour développer une vraie vision stratégique, avec l’appui d’une agence de prévision et de planification économique.
Mais il faut aller plus loin. Aujourd’hui, nos concitoyens ont le sentiment d’une régression permanente, d’un appauvrissement de l’Etat. Donnons la garantie de nouveaux services publics. C’est vrai en matière bancaire. Nous devons tirer les leçons de la crise de 2008. Nous avons besoin d’une régulation de l’activité privée conférant des obligations de service public au profit de l’accès des citoyens à un service bancaire universel et au profit d’un meilleur financement de l’économie. Il faut pour cela orienter le crédit, notamment, vers les petites et moyennes entreprises. C’est vrai en matière de logement. Une loi de service public doit fixer un cahier des charges et des contreparties aux bailleurs publics et privés au profit de l’intérêt général, c’est-à-dire de la cohésion sociale.
Comment favoriser la cohésion sociale dans un contexte de crise ?
Dans le domaine de l’entreprise, le dialogue social est en panne. Nous avons intérêt à innover et à choisir la voie d’une cogestion à la française en réservant aux salariés un tiers des places dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance, afin de les associer véritablement aux décisions en matière de stratégie, d’emploi, de salaires.
Aujourd’hui, englués dans des querelles partisanes, droite et gauche jouent sur des curseurs à la marge. Le monde a changé. Si on veut gagner dans la mondialisation, il faut se doter des outils nécessaires et non s’adapter frileusement et avec retard. Cela implique des choix forts. Nous nous sommes placés sous des contraintes dont nous savons que nous aurons le plus grand mal à les remplir. L’exigence de rigueur doit s’effectuer à un rythme raisonnable, coordonnée et maîtrisée à l’échelle de l’Europe, avec en parallèle une stratégie de croissance.
Vous avez annoncé que vous ne renouvelleriez pas votre adhésion à l’UMP. Pourquoi cette décision ?
L’heure est grave et je veux agir en citoyen indépendant. C’est mon engagement gaulliste qui me dicte ce choix. C’est le sens de République solidaire, qui est un mouvement de rassemblement au-dessus des partis et guidé par la recherche de l’intérêt général. Aujourd’hui, nous arrivons au bout d’un système. Nous avons besoin de consensus et de rassemblement.
L’indépendance que vous revendiquez ne risque-t-elle pas de vous conduire à l’isolement et vous de devenir une sorte de Chevènement de droite ?
Les sondages bougent moins vite que les Français. Je veux être auprès d’eux et à leur écoute, comme c’est le cas, semaine après semaine, à Lyon, à Marmande, à Grenoble. 2007 avait suscité un réel espoir de changement qui a débouché, la crise aidant, sur des replis et des frustrations. Il faut faire de 2012 une échéance radicalement neuve. Il y a aujourd’hui un devoir démocratique pour offrir aux Français des alternatives.
Nicolas Sarkozy peut-il, d’après vous, se métamorphoser en président ?
La métamorphose, c’est un lent et long travail sur soi-même, et douloureux. C’est encore plus nécessaire quand les temps sont difficiles. Je veux croire que, pour notre pays, dans les quatorze mois qui restent, il y a des changements possibles. C’est le sens de mes propositions au président de la République. Je crois toujours que les hommes peuvent changer.
Et vous, avez-vous effectué votre métamorphose en candidat ?
Nous ne sommes pas dans le temps de l’élection. Celui-ci viendra au tournant de l’année.

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